•  

    FRANK REICHERT: Une grande plume s'envole...

    FRANK REICHERT: Une grande plume s'envole...FRANK REICHERT: Une grande plume s'envole...

    par Eric Boldron

    Paru dans Paris-Montmartre, 2ème trimestre 2019

    "Ballades pour un voyou", "Same Player Shoots Again", ça vous dit quelque chose? Nous sommes quelques inconditionnels des "années Futuropolis" à avoir conservé ces albums dans nos bédéthèques. Frank - un nom qui fut longtemps son unique signature - en était le scénariste. Et lorsque nous lisions (et nous les avons tous lu) les aventures de Snoopy et de Charlie Brown - le fameux "Peanuts" de Schulz - c'était la traduction française de Frank que nous lisions. Frank traduisait également "Krazy Cat" de Herriman, la famille Illico de Mac Manus, Dick Tracy de Chester Gould, Franka de Kuijpers, Calvin et Hobbes de Watterson et j'en passe. Sa connaissance de l'USA slang (argot américain) lui donnait une aisance particulière pour ses adaptations qu'il savait rendre savoureuses, hilarantes, sensibles. Il aura ainsi adapté indifféremment romans, polars, ouvrages de science-fiction, livres pour la jeunesse mais aussi la plupart des grands classiques, réécrivant pour l'illustration ou la BD des auteurs comme les frères Grimm, Perrault, Jules Verne, Prokofiev, traduisant au passage Jodorowski ou Crepax, traitant des oeuvres telles que "La Belle et le Bête", "Le Chat Botté", "Peter Pan", "Le livre de la jungle", "Le petit Chaperon Rouge" et - après tout, pourquoi pas - "Boucle d'or" ou "Mickey". Travailleur forcené, Frank a produit une oeuvre si considérable qu'on ne peut tout énumérer ici.
    Car au dessus du "gentleman traducteur", comme on l'appelait parfois, il faut considérer l'auteur, l'écrivain, le scénariste, le poète...
    Au départ, il était promis à une toute autre carrière. À 20 ans, résidant avenue Junot, ce fils d'assureurs ne se sent guère enclin à reprendre la relève de l'affaire familiale, passionné qu'il est des grands mouvements littéraires, particulièrement ceux qui traitent des grandes révolutions ou des courants anarchistes. On le voit régulièrement fréquenter l'épicerie-buvette de la mère Venet, rue Lepic où il cotoie les peintres du coin, des comédiens comme Luchini, des chanteurs comme Polnareff, tous inconnus à l'époque. Frank va même jouer - en compagnie de quelques habitués de "l'épicerie" - dans "la Bande à Bonnot" de Philippe Fourastié, film tourné en 1967 où jouèrent entre autre Bruno Cremer,  Jacques Brel, Annie Girardot...
    Place du Tertre, à la Crémaillère d'Antoine Marino, on voit Frank disputer des parties d'échecs et c'est peut-être là que va commencer à se former autour de lui, un de ces groupes de discussions où l'on débat, non sans dérision, sur tout et sur rien: actualité, littérature, Histoire, poésie, vie quotidienne... Une habitude - ce qui révèle bien son sens sacré de la camaraderie - qu'il aura gardé jusqu'au bout. Avec eux, Frank aura eu l'occasion de partager son fameux rhum, le bien connu rhum Neisson, production de sa chère cousine Claudine.
    "Ne vous asseyez pas là, disait Elyette, aux clients impromptus qui entraient dans son bar, j'attend "l'équipe du jeudi"!.."
    Elyette, du Rêve, avait baptisé ainsi Frank et son groupe de penseurs décalés qu'elle était habituée à voir débarquer chez elle en milieu de semaine et auxquels elle n'oubliait jamais de réserver une place.
    Frank Reichert a donc fait beaucoup de traductions de polars, écrit également des romans de gare sous plusieurs pseudonymes, mais son oeuvre se révèle surtout en 1979 lorsqu'il crée avec le dessinateur Golo (Guy Nadaud), "Ballades pour un voyou", pour Charlie mensuel. Frank et Golo créeront encore ensemble des oeuvres mémorables comme "Same player shoots again", "Le bonheur dans le crime", "Rampeau". Inspirés à la fois par les grands maîtres du roman noir américains et les écrivains français comme Mac Orlan, Dabit ou Carco, les scénarios de Frank décrivent, sur fond de trame policière, un climat urbain, bercé de chansons et d’expressions populaires. Frank et Golo feront aussi un album-hommage à Hergé.
    En 1981 Frank travaille avec le dessinateur Edmond Baudoin. Ils créeront ensemble des oeuvres marquantes comme "Théâtre d'ombres", "Avis de recherche", "La danse devant le buffet", "La croisée". Parmi ses complices de création, on peut encore citer les dessinateurs Nicolas Wintz, Jeanne Puchol et Daniel Goosens. Frank aura travaillé avec des maisons comme Fleuve noir, Le Masque, Rivages, Le Square (Hara-Kiri, Charlie Mensuel), Futuropolis, Dargaud, les Humanoïdes associés, Casterman, L'Echo des Savanes...
    À Montmartre, ses "terrains d'expressions" étaient le Rêve, et plus récemment le Grand Huit, le Soleil de la Butte, le Nansouty...
    Il n'était pas rare de croiser Frank Reichert accompagné de Golo, Edmond Baudoin, Charlie Schlingo, Margerin, Claire Brétécher, qui fréquentèrent, comme lui, le Festival d'Angoulême - là encore on ne peut tous les citer - il avait tellement d'amis...
    Frank nous a quitté le 23 novembre 2018, à l'aube de ses 76 ans. Il repose près des siens au cimetière de Montmartre.

    Eric Boldron

    Merci à Elyette Segard-Planchon 


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique