Il faut noter un fait curieux: le docteur Ferdière avait, dans sa conférence de novembre 1949, où il était question de Millien, fait un rapprochement entre «mer » et « mère ».
1959 voit le décès de la mère de Jean Millien et aussi l'amorce d'un nouveau virage dans l'oeuvre du peintre. Millien avait vécu à Pragues une jeunesse plutôt dorée. Mais sa mère était un personnage tourmenté. Après 1959, il peint de plus en plus de marines. En 1960, au Salon de la Peinture à l'eau, l'œuvre de Millien a déjà atteint, dans tous ses paysages, un dépouillement très net. On sent notamment, à travers une recherche délicate et sensible de ses bleus, comme une volonté d'exprimer la mer comme un élément d'une valeur désormais essentielle, comme si l'eau - salvatrice - représentait pour lui l'ultime richesse de la terre.
Les belles et délicates marines de Jean Millien, qu'il produira en grand nombre, seront donc sa dernière expression de peintre. Peut-être n'avait-il plus rien à prouver ensuite, ayant réussi à trouver l‘essentiel. A la fin de sa vie il ne travaille plus. Le peintre fait le pitre! Ces périodes où Jean « s'éclate», sont entrecoupées - des mois durant parfois - de fortes dépressions. Car la vérité est là aussi: ce comportement cachaient un état dépressif que certains ont jugé parfois trop vite chez Millien.
En règle générale, les Montmartrois du versant Caulaincourt, en dépit des extravagances de leur « phénomène », l'aimaient bien. Lorsqu‘ils en parlent, ils témoignent toujours à son égard de leur générosité, de leur humour, d'un noble sens de légèreté caractéristique à notre quartier.
Pendant que l'on se souvient encore de lui, il nous semble que l'histoire de Jean ne devrait pas s'arrêter ainsi. A l'heure où la « Mélancolie » s'affiche au Grand Palais, tandis qu'au Musée d'Art Naïf, Halle Saint-Pierre, s'exposaient récemment les « Brésiliens en hôpitaux psychiatriques » nous verrions avec joie les gardiens de cette culture picturale qui est tout de même l'une des principale richesse de la Butte, ouvrir à nouveau les portes à ce « poète disparu » . A quand donc l'exposition: « Hommage à Jean Millien », enfant terrible de Montmartre? Et pouquoi pas au musée de la rue Cortot?
Eric Boldron